Ces juifs chanteurs de chaâbi
Jadis incontournables dans la scène chaÂbi, les chanteurs juifs ont quasiment disparu du paysage artistique marocain.
Cela fait longtemps que Myriam et Sarah ne s’étaient pas revues.
Amies d’enfance, ces juives marocaines se sont retrouvées le temps d’un
concert. C’était le 27 mars dernier. Haim Botbol, légende vivante de la
musique chaâbi se produit ce soir-là à Casablanca. L’occasion pour de
nombreux nostalgiques de la chanson judéo-marocaine d’assister à un
évènement que beaucoup attendent depuis très longtemps. C’est qu’à de
rares exceptions près, les concerts de musique chaâbi juive sont très
souvent absents des agendas culturels. Ravies de pouvoir revivre des
rythmes qui ont bercé leur enfance, Myriam et Sarah, toutes deux
sexagénaires, ne se font pas d’illusion : « Si Haim Botbol nous fait
toujours le plaisir de se produire au Maroc, la relève n’existe pas. La
chanson juive marocaine est en train de disparaître », déclarent les
deux femmes avec dépit. Jadis pionniers, les juifs chanteurs de chaâbi
se font de plus en plus rares dans la scène musicale marocaine.
L’âge d’or
Haim Botbol, Albert Souissa, Sami Al Maghribi…, autant de noms que peu de Marocains reconnaissent aujourd’hui. Pourtant, ces juifs marocains étaient de véritables stars à leur époque. Comme leurs compatriotes musulmans, les juifs sont depuis longtemps de grands admirateurs de la musique chaâbi. Et l’on ne pouvait imaginer un mariage où une bar-mitsva sans la présence d’un groupe de musique populaire. C’est tout naturellement que beaucoup de chanteurs juifs se distinguent, et depuis longtemps, dans ce domaine. « La musique chaâbi judéo-marocaine s’est depuis très tôt épanouie, dans le sens où par rapport à la tradition juive, il n’y avait pas d’interdit. Il y avait moins de tabous que chez leurs compatriotes musulmans et étaient aidés par une certaine tradition de chant synagogale », explique Maurice Elbaz, producteur artistique. Transmise de maâlem à maâlem, la musique chaâbi marocaine est restée relativement élitiste jusqu’au Protectorat. Avec l’arrivée des moyens d’enregistrement, cette musique populaire se démocratise et gagne l’ensemble des couches sociales du royaume. Les artistes juifs, très influencés par leurs coreligionnaires algériens, prennent très tôt l’initiative et des nouvelles vedettes voient leur notoriété s’agrandir à travers les quatre coins du Maroc. C’est le cas de Zohra El Fassiya, diva de la chanson chaâbi des années 40. Née en 1905 à Séfrou, elle débute sa carrière en chantant du melhoun dans les années 20. Elle se spécialise, petit à petit, dans une musique chaâbi plus festive, empreinte de percussions et que l’on appelle le « Haouzi ». Déjà populaire dans les années 30, Zohra El Fassiya réussi à propulser sa carrière grâce à la radio. Sa notoriété dépasse les frontières et elle devient une véritable star en Algérie. Parmi ses chansons les plus populaires et qui seront reprises des années plus tard par de nombreux chanteurs de chaâbi, figurent Lghorba olfrak, Ya warda, ou encore l’inoubliable Hbibi diali fayn houa. Sami El Maghribi, autre figure de la chanson judéo-marocaine, a également marqué l’histoire du chaâbi. Né en 1922 à Safi, il part avec sa famille à Rabat et rejoint, dès l’âge de 7 ans, un groupe du mellah de la capitale. Passionné de musique andalouse, il apprend seul à jouer du oud (luth) avant d’intégrer le conservatoire de musique de Casablanca. C’est cette dernière expérience qui lui permet de fréquenter les plus grands maîtres de la chanson andalouse. À 20 ans, il quitte son poste de directeur commercial pour se consacrer exclusivement à la musique. Sami El Malghribi, de son vrai nom Salomon Amzallag, se révèle un véritable maître de la chanson classique marocaine. « Le style de Sami El Maghribi est atypique. C’est l’un des pionniers de la chanson classique marocaine. Ses chansons sont toutes caractérisées par une intro, un couplet, un refrain, une chorale et un rythme plus long, tandis que ses paroles étaient recherchées et plus romantiques », souligne Maurice El Baz. Durant les années 50, ce chanteur célébrait son amour pour son pays et en 1955, salue le retour d’exil de Mohammed V avec Alf hniya wa hniya, goulou lsslama lsidna Mohammed alkhamiss soltan almaghrib. En 1960, à la suite du tremblement de terre d’Agadir, il rend hommage aux victimes avec sa Qasidat Agadir. Mais, parler de chanson chaâbi sans citer Albert Souissa revient à nier l’histoire des origines de la modernisation de ce genre musical. Certains le nomment «roi du Bendir », d’autres voient en lui celui qui a « créé 90 % des mélodies chaâbi qu’on connait aujourd’hui », affirme El Baz. Car, n’étant ni dans l’esprit andalou, ni dans celui du malhoun, Souissa s’est attelé à créer sa propre musique, dont les paroles étaient toutes en darija, chantés sur les rythmes de l’incontournable bendir.
Haim Botbol, Albert Souissa, Sami Al Maghribi…, autant de noms que peu de Marocains reconnaissent aujourd’hui. Pourtant, ces juifs marocains étaient de véritables stars à leur époque. Comme leurs compatriotes musulmans, les juifs sont depuis longtemps de grands admirateurs de la musique chaâbi. Et l’on ne pouvait imaginer un mariage où une bar-mitsva sans la présence d’un groupe de musique populaire. C’est tout naturellement que beaucoup de chanteurs juifs se distinguent, et depuis longtemps, dans ce domaine. « La musique chaâbi judéo-marocaine s’est depuis très tôt épanouie, dans le sens où par rapport à la tradition juive, il n’y avait pas d’interdit. Il y avait moins de tabous que chez leurs compatriotes musulmans et étaient aidés par une certaine tradition de chant synagogale », explique Maurice Elbaz, producteur artistique. Transmise de maâlem à maâlem, la musique chaâbi marocaine est restée relativement élitiste jusqu’au Protectorat. Avec l’arrivée des moyens d’enregistrement, cette musique populaire se démocratise et gagne l’ensemble des couches sociales du royaume. Les artistes juifs, très influencés par leurs coreligionnaires algériens, prennent très tôt l’initiative et des nouvelles vedettes voient leur notoriété s’agrandir à travers les quatre coins du Maroc. C’est le cas de Zohra El Fassiya, diva de la chanson chaâbi des années 40. Née en 1905 à Séfrou, elle débute sa carrière en chantant du melhoun dans les années 20. Elle se spécialise, petit à petit, dans une musique chaâbi plus festive, empreinte de percussions et que l’on appelle le « Haouzi ». Déjà populaire dans les années 30, Zohra El Fassiya réussi à propulser sa carrière grâce à la radio. Sa notoriété dépasse les frontières et elle devient une véritable star en Algérie. Parmi ses chansons les plus populaires et qui seront reprises des années plus tard par de nombreux chanteurs de chaâbi, figurent Lghorba olfrak, Ya warda, ou encore l’inoubliable Hbibi diali fayn houa. Sami El Maghribi, autre figure de la chanson judéo-marocaine, a également marqué l’histoire du chaâbi. Né en 1922 à Safi, il part avec sa famille à Rabat et rejoint, dès l’âge de 7 ans, un groupe du mellah de la capitale. Passionné de musique andalouse, il apprend seul à jouer du oud (luth) avant d’intégrer le conservatoire de musique de Casablanca. C’est cette dernière expérience qui lui permet de fréquenter les plus grands maîtres de la chanson andalouse. À 20 ans, il quitte son poste de directeur commercial pour se consacrer exclusivement à la musique. Sami El Malghribi, de son vrai nom Salomon Amzallag, se révèle un véritable maître de la chanson classique marocaine. « Le style de Sami El Maghribi est atypique. C’est l’un des pionniers de la chanson classique marocaine. Ses chansons sont toutes caractérisées par une intro, un couplet, un refrain, une chorale et un rythme plus long, tandis que ses paroles étaient recherchées et plus romantiques », souligne Maurice El Baz. Durant les années 50, ce chanteur célébrait son amour pour son pays et en 1955, salue le retour d’exil de Mohammed V avec Alf hniya wa hniya, goulou lsslama lsidna Mohammed alkhamiss soltan almaghrib. En 1960, à la suite du tremblement de terre d’Agadir, il rend hommage aux victimes avec sa Qasidat Agadir. Mais, parler de chanson chaâbi sans citer Albert Souissa revient à nier l’histoire des origines de la modernisation de ce genre musical. Certains le nomment «roi du Bendir », d’autres voient en lui celui qui a « créé 90 % des mélodies chaâbi qu’on connait aujourd’hui », affirme El Baz. Car, n’étant ni dans l’esprit andalou, ni dans celui du malhoun, Souissa s’est attelé à créer sa propre musique, dont les paroles étaient toutes en darija, chantés sur les rythmes de l’incontournable bendir.
Israël, nouvel Eldorado
À partir des années 60, la majorité des juifs marocains ont déjà quitté le royaume. Une tragédie pour la chanson judéo-marocaine. « Le vrai problème c’est qu’en partant, les musiciens ont emporté avec eux leurs orchestres, leurs enregistrements et leurs instruments », raconte Maurice El Baz. Ayant quitté le Maroc, la plupart s’installent en Israël et au Canada et continuent leurs carrières dans leurs nouveaux pays d’accueil. Au Maroc, la chanson chaâbi juive est d’autant plus pénalisée que dans les années 70, la répression politique s’accompagne également d’un contrôle des productions artistiques. Les chansons patriotiques pullulent à la radio et la télévision tandis que la musique chaâbi, aussi bien musulmane que juive, se voit marginalisée par le pouvoir. Ce n’est que durant les années 80 que de nouvelles figures émergent à nouveau, à l’image d’un certain Pinhas. « C’est grâce aux mariages et surtout à l’arrivée des Moyen-Orientaux, provenant notamment du Golfe, que les chanteurs arrivent à revivre de leur art », explique El Baz pour qui les « Saoudiens pouvaient donner jusqu’à 50 000 dirhams à un chanteur par prestation ». De nos jours, le plus gros des chanteurs juifs de chaâbi se produit en Israël, à défaut de pouvoir le faire dans leur pays d’origine. Pas moins de sept orchestres juifs de musique andalouse se produisent régulièrement en Israël. Au Maroc, le chaâbi juif n’arrive pas à se vendre. Les structures d’un véritable redécollage de cet art sont absentes. Un observateur de la scène artistique marocaine n’hésite pas à confier que, « heureusement, il existe encore des producteurs assez aventuriers pour oser perdre de l’argent en organisant un concert, comme celui de Botbol ».
À partir des années 60, la majorité des juifs marocains ont déjà quitté le royaume. Une tragédie pour la chanson judéo-marocaine. « Le vrai problème c’est qu’en partant, les musiciens ont emporté avec eux leurs orchestres, leurs enregistrements et leurs instruments », raconte Maurice El Baz. Ayant quitté le Maroc, la plupart s’installent en Israël et au Canada et continuent leurs carrières dans leurs nouveaux pays d’accueil. Au Maroc, la chanson chaâbi juive est d’autant plus pénalisée que dans les années 70, la répression politique s’accompagne également d’un contrôle des productions artistiques. Les chansons patriotiques pullulent à la radio et la télévision tandis que la musique chaâbi, aussi bien musulmane que juive, se voit marginalisée par le pouvoir. Ce n’est que durant les années 80 que de nouvelles figures émergent à nouveau, à l’image d’un certain Pinhas. « C’est grâce aux mariages et surtout à l’arrivée des Moyen-Orientaux, provenant notamment du Golfe, que les chanteurs arrivent à revivre de leur art », explique El Baz pour qui les « Saoudiens pouvaient donner jusqu’à 50 000 dirhams à un chanteur par prestation ». De nos jours, le plus gros des chanteurs juifs de chaâbi se produit en Israël, à défaut de pouvoir le faire dans leur pays d’origine. Pas moins de sept orchestres juifs de musique andalouse se produisent régulièrement en Israël. Au Maroc, le chaâbi juif n’arrive pas à se vendre. Les structures d’un véritable redécollage de cet art sont absentes. Un observateur de la scène artistique marocaine n’hésite pas à confier que, « heureusement, il existe encore des producteurs assez aventuriers pour oser perdre de l’argent en organisant un concert, comme celui de Botbol ».
PAR REDA MOUHSINE
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